Le temps qui passe n’a pas rendu l’exercice plus facile. Jeudi 2 février, dans les locaux des archives départementales des Hauts-de-Seine, la voix de Patrick Jarry s’est brisée au moment d’évoquer les collègues et amis morts ou blessés sous ses yeux, il y a vingt et un ans, à Nanterre. Et puis, le regard rivé à sa feuille, les mains au pupitre, le maire (divers gauche) de la commune est arrivé au bout de son discours devant une assemblée d’une trentaine de personnes, muettes et tendues. Toutes avaient en mémoire le drame survenu le 27 mars 2002 à l’hôtel de ville.
Cette nuit-là, peu après 1 heure du matin, le conseil municipal, dirigé à l’époque par la maire communiste Jacqueline Fraysse, vient de se terminer quand un administré, présent dans les rangs du public depuis le début de la séance, se lève et ouvre le feu. En moins d’une minute, Richard Durn, un pratiquant de tir sportif âgé de 33 ans, tue huit élus de différents bords politiques – Louiza Benakli, Christian Bouthier, Jacotte Duplenne, Monique Leroy-Sauter, Olivier Mazzotti, Valérie Méot, Michel Raoult, Pascal Sternberg – et blesse dix-neuf personnes sur la soixantaine présentes dans la salle, avant d’être maîtrisé. Le lendemain, au cours de son audition par la police, il mettra fin à ses jours en se défenestrant du quatrième étage du 36, quai des Orfèvres, siège de la police judiciaire parisienne.
Suivent l’émotion nationale, l’agitation médiatique, les corbeilles de fleurs en provenance du monde entier… Et bientôt le silence. Il faut dire que le 21 avril, un autre événement, politique cette fois, éclipse tout : Jean-Marie Le Pen atteint le second tour de l’élection présidentielle. La justice elle-même tourne la page : les investigations sont rapidement interrompues en raison de la mort du tueur.
Les années ont passé, déjà deux décennies, le grand public a oublié. C’est un peu comme si ce drame ne s’était pas inscrit dans la mémoire collective, comme s’il n’avait plus aucune résonance dans la France actuelle. L’ex-élue socialiste Marie-Laure Meyer le constatait amèrement dans une tribune publiée en 2021 dans Le Monde.
De fait, qu’en reste-t-il de nos jours ? Au moins une petite boîte bleue, passée ce même 2 février des mains de Patrick Jarry à celles du directeur des archives départementales, Pierre Chancerel. A l’intérieur, un disque dur contenant quarante-six vidéos : des témoignages au fil desquels des rescapés, élus ou personnel administratif, mais aussi des proches de victimes, certains élus qui n’étaient pas présents, une représentante de la justice et une fonctionnaire de la ville évoquent cette fameuse nuit et ce qu’elle a changé dans leurs vies.
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