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Le point sur l’évacuation du camp de migrants à Paris : coups de matraque et « chasse à l’homme », indignation politique et enquêtes de l’IGPN

Près de 500 migrants, majoritairement afghans, ont été expulsés en pleine nuit de la place de République. L’opposition a dénoncé, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, des « moyens d’une sauvagerie exceptionnelle ».

Le Monde avec AFP

Publié le 24 novembre 2020 à 05h32, modifié le 24 novembre 2020 à 18h32

Temps de Lecture 7 min.

Plusieurs centaines de migrants, en errance depuis l’évacuation d’un important camp d’exilés la semaine dernière, ont monté, lundi 23 novembre, un nouveau campement dans le centre de Paris, que les forces de l’ordre ont aussitôt démantelé sans ménagement, provoquant un tollé dans une partie de la classe politique.

Lundi soir, environ 500 tentes bleues s’étaient déployées place de la République, vite investie par des centaines d’exilés, en grande majorité originaires d’Afghanistan. A peine une heure après l’installation, les forces de l’ordre ont commencé à enlever une partie des tentes, parfois avec des personnes encore à l’intérieur, sous les cris et huées de militants et de migrants.

Et c’est finalement sous les tirs de gaz lacrymogène et de grenades de désencerclement que quelques centaines d’exilés et leurs soutiens ont été dispersés par les forces de l’ordre dans les rues adjacentes. Très vite, des images de violences ont été relayées sur les réseaux sociaux. On y a vu des migrants sortis de leur tente par la force, des coups de matraque infligés.

  • Deux enquêtes ouvertes pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique »

Capture d’écran d’une vidéo filmée le 23 novembre à Paris.

Gérald Darmanin a annoncé mardi avoir « demandé à l’IGPN [inspection générale de la police nationale] de remettre ses conclusions sous quarante-huit heures » sur les violences intervenues lors de l’évacuation du campement par les forces de l’ordre. La veille au soir, le ministre de l’intérieur s’était ému sur Twitter d’images « choquantes » et avait dit avoir demandé un « rapport circonstancié » au préfet de police de Paris.

La défenseure des droits, Claire Hédon, a annoncé à l’Agence France-Presse (AFP) qu’elle se saisissait des faits. Plusieurs associations, parmi lesquelles Médecins du monde et le Secours catholique, ont fait part en outre de leur intention de saisir cette instance.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » à la suite d’un croche-pied fait sur un migrant par un policier. L’IGPN est chargée d’enquêter sur ces faits visibles dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

Dans ces vidéos, tournées dans les rues du quartier Beaubourg à Paris par plusieurs journalistes, un homme vêtu de blanc est encerclé par un groupe de policiers, puis parvient à s’enfuir. Un policier en uniforme tend sa jambe sur son passage, ce qui provoque la chute de cet homme, qui se relève rapidement pour repartir en courant.

David Dufresne est journaliste.

Le Parquet de Paris a également ouvert mardi une autre enquête pour des « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » qui auraient été commises lundi soir par un policier sur le journaliste Rémy Buisine, du média en ligne Brut, lors de l’évacuation du camp de migrants.

Toujours selon le parquet de Paris, deux gardes à vue étaient par ailleurs en cours mardi en début d’après-midi pour des faits de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique et outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, lors de cette évacuation.

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Des sources policières ont regretté auprès de l’AFP que cette intervention ait été menée par des policiers non spécialistes du maintien de l’ordre. C’est la DSPAP, direction de la sécurité publique de l’agglomération parisienne, qui a dirigé l’opération. Un escadron de gendarmes mobiles a été engagé pour l’intervention, ainsi que des effectifs des brigades anti-criminalité (BAC) nuit et des compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI). « Alors qu’ils sont vraiment très bons sur l’anti-crim’, notamment en cités, ils ne sont pas les meilleurs techniquement pour le maintien de l’ordre », a souligné un responsable policier.

  • Vague de consternation à gauche

Les images de l’évacuation ont déclenché un tollé dans une partie de la classe politique, à gauche et parmi les écologistes. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a écrit mardi au ministre de l’intérieur « pour lui demander des explications », dénonçant notamment dans cette lettre « un usage de la force disproportionné et brutal ». « L’Etat donne de lui-même un spectacle lamentable » en apportant « une réponse policière à une situation sociale », a réagi son adjoint chargé de l’accueil des réfugiés, Ian Brossat (Parti communiste).

Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, a dénoncé sur Twitter « une chasse à la misère à coups de matraque », tandis que le porte-parole du PS, Boris Vallaud, a fait part, sur Twitter également, de sa « consternation » et de sa « tristesse » : « Ce gouvernement manque à tous ses devoirs, à commencer par celui d’humanité. » L’eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot s’est, lui, inquiété sur Europe 1 d’une « dérive liberticide ».

Invité de la matinale de RMC, le député Eric Coquerel (La France insoumise), qui était sur place au moment de l’évacuation, a dénoncé une répression « choquante », face à une « foule [qui] était pacifique ».

Comme d’autres personnalités politiques, l’élu se félicite que des images aient révélé ces agissements, alors que la proposition de loi de sécurité globale, qui doit être votée mardi après-midi à l’Assemblée nationale, prévoit de pénaliser la diffusion malveillante de l’image des policiers. « Elles servent ces images, vous qui avez voulu leur interdiction », a ironisé la députée LFI Clémentine Autain à l’adresse du ministre de l’intérieur.

Le président des députés « insoumis », Jean-Luc Mélenchon, a demandé, lors d’un point presse au Palais-Bourbon, de « suspendre » le vote à l’Assemblée de la proposition de loi de sécurité globale, estimant que les images des « moyens d’une sauvagerie exceptionnelle » déployés selon lui par les forces de l’ordre lundi soir montraient qu’elle est mauvaise. Le député des Bouches-du-Rhône a demandé la démission du préfet de Paris, Didier Lallement.

  • Soutien de la droite et de l’extrême droite aux forces de l’ordre

Droite et extrême droite ont apporté, au contraire, leur soutien aux forces de l’ordre et au préfet. Le député Les Républicains (LR) Eric Ciotti a estimé sur Twitter que la réaction de M. Darmanin était « lâche ». Son collègue Julien Aubert a jugé « choquant » que le ministre « n’assume pas que la police n’a fait qu’appliquer ses ordres et rétablir l’ordre ». La maire LR du 7e arrondissement, Rachida Dati, a jugé « choquantes » les images, tout en estimant que le préfet de police « a fait son travail avec les moyens qu’on lui donne ».

Evoquant la proposition de loi de sécurité globale, la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, s’est demandé : « A quoi sert de faire voter une loi pour protéger les policiers, si c’est pour les désavouer collectivement au moindre incident ou à la moindre provocation d’extrême gauche ? » Dans un deuxième Tweet, elle a jugé que « l’argent des Français doit en priorité être réservé à la solidarité avec les Français », s’offusquant des places d’hébergement pour les migrants quand « nos compatriotes plongent dans la pauvreté ».

  • 1 000 places d’hébergement à trouver, selon les associations

Les migrants et associations installés place de la République à Paris, lundi 23 novembre.

De leur côté, la Préfecture de police de Paris et celle de la région Ile-de-France (PRIF), qui gère les opérations de mise à l’abri, ont affirmé, dans un communiqué conjoint, que « la constitution de tels campements, organisée par certaines associations, n’[était] pas acceptable ». « Toutes les personnes en besoin d’hébergement sont invitées à se présenter dans les accueils de jour où des orientations vers des solutions d’hébergement adaptées à leur situation sont proposées très régulièrement aux migrants », ont-elles ajouté.

Un important camp d’exilés près du Stade de France avait été évacué, mardi dernier, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Plus de 3 000 personnes, principalement des hommes afghans, avaient alors bénéficié d’une mise à l’abri dans des centres d’accueil ou des gymnases en Ile-de-France mardi dernier. Mais selon les associations, entre 500 et un millier d’exilés ont été « laissés sur le carreau » après cette évacuation et se trouvaient depuis en errance en lisière de Paris et de la Seine-Saint-Denis.

Mardi, Marlène Schiappa et Emmanuelle Wargon ont assuré que 240 places avaient été identifiées par le préfet de la région Ile-de-France, en centre d’accueil et d’examen des situations administratives et dans les structures de l’hébergement d’urgence. Les deux ministres ont également assuré que « 10 000 places [avaient] été créées depuis le 17 octobre » et que « 4 500 places supplémentaires pour les demandeurs d’asile ser[aie]nt financées par le gouvernement en 2021 ». Mais pour l’association Utopia56, qui a aidé les exilés à monter leur campement lundi, il faudrait « la création de 1 000 places d’hébergement immédiat et inconditionnel afin de pouvoir mettre » ces personnes « à l’abri ».

L’errance de ces centaines de migrants se poursuivait mardi. Dans plusieurs vidéos postées sur les réseaux sociaux par des militants associatifs et des journalistes, on voit les forces de l’ordre escorter des groupes d’exilés jusqu’aux portes nord de Paris, où des distributions alimentaires ont été organisées en pleine nuit.

« Cette nuit, après la violente expulsion de [la place de la] République, les personnes exilées ont erré dans les rues, repoussées par la police jusqu’à Aubervilliers et Saint-Denis. Nous leur avons donné nos dernières tentes et couvertures », écrit Utopia56. Sur la vidéo postée avec ce texte, on voit des grappes de jeunes hommes marcher dans la nuit en tirant un chariot à roulettes, portant des affaires dans des baluchons ou des sacs à dos.

Le Monde avec AFP

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