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Attaque à Paris : Youssef, le « deuxième suspect », mis hors de cause, raconte comment il a tenté d’arrêter l’assaillant

Présenté comme le « deuxième suspect » de l’attaque perpétrée devant les ex-locaux de « Charlie hebdo », il raconte au « Monde » comment il a tenté d’arrêter l’assaillant avant d’être lui-même pris à tort pour un complice.

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Publié le 26 septembre 2020 à 18h49, modifié le 27 septembre 2020 à 20h02

Temps de Lecture 6 min.

Dispositif de sécurité à proximité de la rue Nicolas-Appert où a eu lieu l’attaque, boulevard Richard-Lenoir à Paris, le 25 septembre.

« Je voulais être un héros et je me suis retrouvé derrière les barreaux. » Avec un sourire un peu désolé, Youssef résume son histoire, celle d’un geste courageux qui l’a conduit tout droit en garde à vue dans une affaire de terrorisme. L’espace d’une demi-journée, cet Algérien d’une trentaine d’années a été le « deuxième suspect » de l’attaque qui s’est déroulée dans la rue des anciens locaux de Charlie Hebdo, vendredi 25 septembre.

Il a été libéré dans la nuit de vendredi à samedi, après avoir été totalement mis hors de cause. « Son récit est tout à fait crédible, il n’est pas du tout connu de nos services », confie une source policière haut placée. Aucune charge n’est retenue contre lui. Le Monde l’a rencontré longuement, samedi 26 septembre, en compagnie de son avocate, MLucie Simon.

Il raconte, presque comme une mauvaise farce, l’enchaînement des événements. Son récit est régulièrement interrompu par ses deux frères et son meilleur ami, qui semblent se rendre compte plus que lui de la gravité de la situation dans laquelle il s’est retrouvé. Il est aux alentours de midi quand cet ouvrier quitte son frère qui travaille dans un immeuble non loin de la rue Nicolas-Appert.

« J’ai entendu les cris d’une femme »

« J’étais en train d’entrer dans ma voiture, quand j’ai entendu les cris d’une femme. Je regarde dans mon rétroviseur pour voir ce qui se passe, puis je sors de ma voiture, et j’entends cette fois un homme qui crie : “Non, non, non !” A ce moment-là, je vois un mec suspect qui court en direction du métro Richard-Lenoir, je suis parti directement pour le suivre. »

Youssef pense qu’il s’agit d’une agression. « Dans ma tête, je vais essayer d’attraper la personne qui a fait ça », explique-t-il. « Ce n’est pas la première fois qu’il fait ce genre de choses », ajoute son grand frère, avec un mélange de fierté et d’inquiétude.

Youssef voit l’individu se débarrasser d’un « grand couteau ». Il s’agit, en réalité, du hachoir avec lequel il vient d’agresser et de blesser grièvement deux salariés de la société de production Premières Lignes, dont les locaux se situent dans l’ancien immeuble de Charlie Hebdo. Il s’engouffre à sa poursuite dans le métro. Il enjambe le portique, hésite sur la direction à suivre et prend l’escalier sur la droite.

« Il m’a sorti une lame de cutter »

« Je me suis retrouvé sur le quai d’en face, je le vois de l’autre côté. Je lui ai dit : “Toi, reste là !”, j’ai fait comme un flic », s’amuse-t-il. Il rebrousse chemin et prend la direction du bon quai. « J’arrive, et je lui demande ce qu’il a fait. Il m’a sorti une lame de cutter. » Youssef reste à distance. « Il m’a dit quelque chose, mais je n’ai rien compris. Je crois qu’il ne parlait pas le français. Il était étonnamment calme. C’est comme s’il attendait tranquillement le métro. Il est monté dedans sans agresser personne, et il est parti en direction de Bastille. » Youssef a le temps de voir du sang sur le visage et sur la main de l’homme qui lui fait face.

En ressortant du métro, Youssef croise un homme avec une barre de fer qui cherche l’agresseur. Il le dissuade de suivre le suspect. La police est appelée sur les lieux, et débarque une dizaine de minutes plus tard. Youssef explique la situation à un agent et l’informe que le suspect s’est dirigé vers Bastille.

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« Ensuite, je voulais aller voir les victimes, mais un policier m’a dit : “Tu dégages !” J’ai raconté que j’avais suivi le mec. Ils m’ont d’abord dit de laisser mon numéro de téléphone. Ensuite, un policier m’a dit de me mettre contre le mur, il m’a fait une fouille. Un de ses collègues lui a dit de me lâcher, que je n’avais rien fait. » Youssef quitte alors les lieux en voiture. Il veut aller chercher son portefeuille avec sa pièce d’identité pour pouvoir témoigner.

« Pas besoin des menottes ! »

Au même moment, les agents de la Préfecture de police de Paris qui scrutent la vidéosurveillance repèrent son échange avec le principal suspect sur les caméras du métro. Sa photo commence à circuler et est montrée au gardien d’immeuble où travaille son frère. Ce dernier, qui est resté sur les lieux, le rappelle pour lui dire de revenir rapidement. Youssef fait demi-tour.

Arrivé sur les lieux, il approche un policier. « Il a appelé son chef, ils avaient ma photo. Ils sont venus autour de moi, ils étaient une dizaine. Ils m’ont emmené dans le métro. Ils m’ont demandé de regarder en direction des caméras pour prendre mon portrait, ils m’ont aussi pris en photo avec leurs téléphones. Puis ils m’ont mis des menottes. J’en entends un qui dit en chuchotant : “On l’a chopé.” Je lui réponds : “Vous m’avez pas du tout chopé, c’est moi qui suis venu pour témoigner !” »

Deux policiers s’approchent de lui pour lui notifier sa garde à vue et lui demandent de signer un document. Youssef ne comprend pas ce qui lui arrive. « Ils me demandent si je veux prendre un avocat, mais moi je ne voulais pas, je n’ai rien fait, je n’ai pas besoin d’avocat ! » La brigade de recherche et d’intervention arrive sur les lieux. « Ils étaient plus violents, eux, ils refusaient de me parler. Moi, j’essayais d’expliquer : “Je veux bien vous suivre où vous voulez pour raconter l’histoire, mais il n’y a pas besoin des menottes.” » Les policiers lui placent un masque anti-Covid sur le bas du visage, un masque occultant pour cacher les yeux et lui rabattent sa capuche sur la tête. « Avant de sortir du métro, ils ont parlé entre eux, en demandant : “Est-ce qu’ils sont là ?” Ils parlaient des journalistes. Ils voulaient que ça se voie qu’ils avaient arrêté quelqu’un. »

Youssef est conduit dans les locaux de la police judiciaire, dans le 17arrondissement. Il est fouillé, ses lacets lui sont retirés, et il est placé en cellule. « C’était la première fois de ma vie. Heureusement, il y avait un policier qui était là depuis le début et qui me parlait, lui j’avais confiance en lui. Il m’a dit : “Youssef, t’inquiète pas, on va juste te questionner, tu as fait un truc bien, on fait juste notre travail.” Lui, je le remercie. »

« S’ils m’avaient gardé à la place… »

Le jeune homme ne le sait pas, mais, à l’extérieur, c’est l’effervescence. L’auteur principal des faits a déjà été interpellé. La nouvelle de l’arrestation d’un « deuxième suspect » lié à l’attaque fait le tour des rédactions. Sa date de naissance est divulguée, ainsi que ses initiales et sa nationalité. « Ça, ça me dérange, lance son frère. Il a fait un geste héroïque et, au final, toute la famille se retrouve à avoir peur. Et puis pourquoi on met “un Algérien” en gros partout ? » Son meilleur ami raconte le sang d’encre qu’ils se sont fait : « Souvent, quand ils attrapent les terroristes, les mecs sont morts. Imaginez, s’il avait fait un mauvais geste au moment de l’arrestation ou quelque chose comme ça… »

En cellule, Youssef se rend compte peu à peu l’affaire dans laquelle il est embarqué. « J’avais peur, s’ils avaient pas attrapé la personne, s’ils m’avaient gardé à la place… On imagine plein de choses. » Bénéficiant d’un titre de séjour de dix ans, il s’inquiète aussi pour ses démarches pour obtenir la nationalité française. Les policiers évoquent une perquisition de son domicile, mais elle n’aura jamais lieu. Preuve que la piste de son implication a rapidement été écartée, il est finalement libéré aux alentours de minuit. Plusieurs versions médiatiques feront pourtant état de « deux terroristes » toute la journée.

« Si l’on peut comprendre dans une affaire d’une telle ampleur que toutes les précautions doivent être prises, une garde à vue doit rester strictement nécessaire, estime son avocate, Lucie Simon. Ici, rien ne justifie que Youssef soit entendu sous ce régime, il aurait parfaitement pu être entendu librement, comme simple témoin. On traite un jeune homme au comportement héroïque comme un terroriste, on le cagoule, on le menotte. »

Son grand frère reprend : « Il se retrouve mêlé à une affaire dans laquelle il n’a rien à voir. Ça laisse des traces. Là, il sourit, mais je peux vous dire que, ce soir, il va mal dormir, c’est un sensible. » Quand on demande à Youssef s’il referait la même chose dans les mêmes circonstances ou s’il tournerait les talons, il rigole : « Je sais comment je suis, je le referais. »

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