« Je ne suis qu’une chienne », chante Mery Bas, membre du duo Nebulossa, qui a été choisi pour représenter l’Espagne au concours de l’Eurovision, qui a lieu en Suède du 7 au 11 mai. Ce choix a provoqué des remous en Espagne. En effet, la chanson qui sera interprétée s’intitule Zorra, un terme qui, en espagnol, signifie « renarde » mais aussi « prostituée », « catin ». Un sens insultant assumé par le groupe, dans l’intention de le retourner.
La chanteuse, 55 ans, a ainsi déclaré à la télévision espagnole : « On m’a souvent appelée “chienne”. Ce titre est une manière de transformer ce mot en quelque chose de beau. » Ce parti pris a cependant suscité la colère de plusieurs associations féministes, qui ont demandé le retrait de la chanson de l’Eurovision, au motif qu’elle serait offensante pour les femmes. Après plusieurs semaines de débats houleux, le premier ministre espagnol a dû trancher : Zorra ira bien à Malmö.
Le gouvernement s’est donc rangé du côté des « chiennes », soit les féministes qui, comme Mery Bas, estiment que l’appropriation de ce terme s’inscrit dans une démarche d’empowerment. Ce phénomène est présent depuis longtemps dans la culture pop, à l’image des rappeuses, qui se sont emparées du mot « bitch » (« salope »), devenu un terme de ralliement. En 2020, l’autrice basque Itziar Ziga publiait un livre au titre programmatique, Devenir chienne (Cambourakis), dans lequel elle revendiquait une féminité subversive, marquée par le travestissement et la marginalité. Plus récemment vient de paraître le livre de la Mexicaine Dahlia de la Cerda, Chiennes de garde (Le Sous-Sol, 240 pages, 21,50 euros). Ce recueil de nouvelles met en scène treize femmes qui font face à la même difficulté : naître femme au Mexique.
Une même oppression
L’écrivaine et réalisatrice de documentaires Ovidie vit, elle, avec trois chiennes : Alaska, Freyja et Brünnhilde. Une cohabitation qu’elle raconte dans son dernier essai Assise, debout, couchée ! (JC Lattès, 234 pages, 18,90 euros). Pour elle, femmes et chiennes font face à la même oppression : celle du patriarcat. « Le capitalisme s’est fondé sur une double exploitation, celle des animaux et celle du corps des femmes, explique-t-elle. Les femmes et les chiens sont soumis aux mêmes diktats esthétiques et aux mêmes procédés d’appropriation : qu’on les bichonne ou qu’on les maltraite, on s’octroie un droit d’ingérence sur leur corps et sur leur vie. » Déjà propriétaire d’Alaska et de Freyja, elle raconte avoir adopté Brünnhilde, un dogue de Bordeaux particulièrement intimidant, après son installation en Charente. « En tant que femme vivant seule à la campagne, j’ai ressenti le besoin d’avoir un chien pour me défendre. J’ai de la chance : Brünnhilde est misandre, s’amuse-t-elle. Elle n’a pas besoin d’avoir lu des études sur les féminicides pour savoir que l’homme peut être un ennemi. »
Il vous reste 55.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.