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Le nombre de suicides n’a pas augmenté malgré l’épidémie de Covid-19 et le confinement

Des témoignages de commerçants ayant mis fin à leurs jours émeuvent sur les réseaux sociaux. Ces cas tragiques semblent pour l’instant peu nombreux, mais l’aggravation de la crise fait craindre le pire.

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Publié le 23 novembre 2020 à 17h33, modifié le 24 novembre 2020 à 09h54

Temps de Lecture 5 min.

Distribution de nourriture à Clichy-Sous-Bois durant le confinement dû au coronavirus, le 15 avril 2020.

« Je ne sais plus subvenir à mes besoins primaires… donc manger, payer mes factures, me chauffer, ça devient très compliqué financièrement. » Désespérée par les effets économiques de la crise liée au Covid-19, Alysson, une barbière de 24 ans qui avait ouvert un salon à Liège (Belgique) au cœur de l’été, a mis fin à ses jours, rapporte la presse belge. Un récit qui fait écho au suicide, à la mi-novembre, de Ghislaine Boriller, gérante d’un restaurant à Plougoumelen (Morbihan).

Ces deux histoires ont provoqué une grande émotion et suscité de nombreux partages et commentaires sur les réseaux sociaux. Elles recoupent en effet les inquiétudes de nombreux Français et francophones, pour qui l’ampleur de la crise du Covid-19 ne se mesurera pas seulement en morts et en malades, mais aussi en suicides liés à l’angoisse, aux incertitudes et à la récession économique.

Ces témoignages et ces inquiétudes ne reflètent pas, pour l’heure, une réalité statistique. « Clairement, on n’a pas aujourd’hui une vague suicidaire. On assiste même plutôt au contraire : selon les remontées de terrain que j’ai, nous sommes en dessous des chiffres de 2019, un peu partout en France », explique Guillaume Vaiva, chef de service en psychiatrie adulte au Centre hospitalier universitaire de Lille et vice-président du Groupement d’études et de prévention du suicide. Mais le constat pourrait être différent en 2021.

Le premier confinement, un choc aux effets disparates

  • Une chute des suicides au printemps

Le premier confinement n’a pas eu d’effet direct sur les suicides. « Nous n’observons pas d’augmentation significative pendant la période », relevait Enguerrand Rolland du Roscoat, responsable de l’unité Santé mentale à la Direction de la prévention et de la promotion de la santé, lors d’une conférence de Santé publique France à la mi-novembre, en se basant sur les entrées aux urgences pour tentative de suicide.

Selon Guillaume Vaiva, ces dernières ont même chuté de moitié. « On assiste souvent à ce phénomène lors des grands cataclysmes, après des déclarations de guerre… C’est un grand classique. Il y avait encore des gestes suicidaires au printemps, mais ils étaient souvent l’expression de fragilités psychiques individuelles, qui n’étaient pas vraiment liées au contexte. »

  • Des effets psychologiques très variables

L’impact sur le moral des Français a en revanche été majeur. Selon les observations de l’université de Lille auprès de 69 000 étudiants et publiées à la fin d’octobre, 11,4 % d’entre eux ont été traversés par des idées suicidaires, 16 % ont connu une dépression sévère et 27,5 % un haut niveau d’anxiété. Des analyses cohérentes avec celles de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), qui a relevé un état de détresse psychologique chez un tiers des 20 000 adultes sondés en avril.

Pour beaucoup, la violence du choc a été passagère. « Les taux de stress, d’anxiété et même de symptômes psychotiques étaient anormalement élevés en début de confinement, mais ils ont baissé progressivement, même s’il est difficile de généraliser », détaille Anne Giersch, psychiatre et directrice de recherche à l’Inserm à Strasbourg, qui a suivi 130 personnes durant le confinement. Cette mise sous cloche avait peu à peu été vécue comme une bulle protectrice, relevait Enguerrand Rolland du Roscoat en mai

Pas pour tous néanmoins. Précaires, isolés, personnes ayant des antécédents psychiatriques… ont bien plus souffert du confinement que les autres. « Nos résultats montrent un rôle très fort des conséquences économiques (dégradation de la situation financière du foyer suite au confinement) et sociales (confinement dans des logements suroccupés, perte du lien social, difficultés à maintenir ses activités de loisir habituelles) du confinement sur la survenue de détresse psychologique », observe Coralie Gandré, chargée de recherche à l’Irdes et coautrice de l’étude auprès de 20 000 adultes.

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Un contrecoup au déconfinement

  • Une légère remontée des suicides à l’été

Beaucoup craignaient une explosion du nombre de suicides lors du déconfinement. Au Royaume-Uni, l’université de Manchester n’a toutefois observé aucune hausse significative. En France, le nombre de décès par suicide en 2020 n’est pas encore connu. Toutefois, relève Guillaume Vaiva, le dispositif de veille des suicidants VigilanS suggère que les tentatives, quoique plus nombreuses qu’au printemps, restaient inférieures d’environ 20 % par rapport à 2019.

  • Embellie globale du moral mais fragilisation pour une minorité

L’enquête CoviPrev sur le moral des Français montre une légère amélioration après le déconfinement, mais, pour une minorité, Coralie Gandré s’inquiète d’une possible « détresse psychologique à retardement ». Celle-ci n’aurait rien de surprenant. « Une revue de la littérature publiée dans [le magazine scientifique] The Lancet en février 2020 sur les impacts des mesures de confinement dans des contextes épidémiques précédents (Ebola, SRAS…) met en évidence un impact sur la santé mentale, d’autant plus important que le confinement dure longtemps et qu’il y a un contexte d’incertitude », rappelle Coralie Gandré.

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« L’après-confinement est une période de fragilisation psychosociale, confirme Michel Debout, membre de l’Observatoire national du suicide, dans une étude pour la Fondation Jean-Jaurès. Ce qui doit nous faire prendre conscience collectivement que la crise est devant nous. » Selon un sondage IFOP-Fondation Jean-Jaurès réalisé auprès de 2 000 personnes, 2,2 % des répondants auraient pensé sérieusement à mettre fin à leurs jours durant le confinement au printemps, et 3,4 % par la suite. Ce chiffre reste légèrement inférieur à la prévalence des idées suicidaires chez les actifs en temps normal, mais il témoigne surtout d’une progression des pensées noires à l’été.

Des signaux inquiétants depuis le reconfinement

  • Des idées suicidaires chez les soignants et les jeunes

Lors du deuxième confinement, à l’automne, la baisse des suicides constatée au premier confinement a été moins nette que celle observée au printemps. Des propos et conduites suicidaires sont par ailleurs apparus chez les soignants et des jeunes de 10 à 25 ans, ce qui est inédit par rapport à la période du premier confinement, observe Guillaume Vaiva. « Bien sûr, le suicide n’est jamais monocausal. Mais le reconfinement est désormais cité parmi les différentes causes. »

  • Les effets redoutables de la crise économique

L’autre inquiétude concerne les victimes économiques de la crise. Plusieurs articles évoquent une recrudescence de suicides au Japon, au Malawi, ou encore en Thaïlande. Certes, le niveau de risque n’est pas le même d’un pays à l’autre. « Cela dépend du système social. Les conduites suicidaires ont augmenté aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore aux Pays-Bas, mais pas en France et en Suède, car nous avons les systèmes sociaux les plus soutenants », explique Guillaume Vaiva. Mais les réactions nombreuses sur les réseaux sociaux aux suicides de commerçants désespérés sont un indice à entendre, estime ce spécialiste.

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  • Des perspectives sombres pour 2021

En multipliant les dispositifs d’aide financière, le gouvernement français espère limiter les effets de la récession. Mais pour combien de temps ? Michel Debout rappelle que le krach boursier de 1929 comme la faillite de Lehman Brothers en 2008 ont été suivis d’une surmortalité par suicide qui n’a pas été immédiate. « Toutes les études montrent que les effets suicidaires des crises se font sentir dans un délai de plusieurs mois voire quelques années » : le pic a été atteint en 1930-1931 pour la Grande Dépression, et en 2009-2010 pour la crise des subprimes.

Avec une chute vertigineuse de 9 % à 10 % du PIB sur l’année, des secteurs entiers à l’arrêt complet, et la menace de faillites à la chaîne, c’est sur le moyen terme que les effets de la crise économique risquent de se faire sentir.

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