Au lendemain d’une mobilisation massive contre le projet de réforme des retraites, qui a vu au moins 800 000 personnes dans les rues de France le 5 décembre (1,5 million selon la CGT), le premier ministre a annoncé, vendredi, qu’il dévoilerait l’intégralité du projet du gouvernement mercredi 11 décembre à midi. Le chef du gouvernement a affirmé sa « ferme » volonté de mener cette réforme, mais « sans brutalité ». « Ma logique ne sera jamais celle de la confrontation », a-t-il assuré dans une allocution en direct de Matignon.
De son côté, l’intersyndicale – Confédération générale du travail (CGT), Force ouvrière (FO), Solidaires, Fédération syndicale unitaire (FSU) et trois organisations de jeunesse –, réunie vendredi matin au siège de FO, a appelé à une nouvelle journée de grève et de manifestations mardi 10 décembre. La Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) préfère, elle, attendre les annonces du gouvernement.
Les transports toujours très perturbés
Vendredi, les transports restaient très perturbés. A la SNCF, 90 % des TGV et 70 % des TER ont été annulés. Le taux de grévistes mesuré vendredi au sein de la compagnie ferroviaire est de 31,8 % en moyenne, en recul par rapport à jeudi (55,6 %), avec toutefois une mobilisation plus prononcée des conducteurs (87,2 % en grève vendredi) et des contrôleurs (80 %), selon la direction du groupe.
A la RATP, la reconduction du mouvement a été votée jusqu’à lundi, et neuf lignes de métro restaient fermées, même si une légère amélioration était constatée par rapport à la veille.
Du côté du trafic routier, alors que le périphérique francilien a connu une accalmie inhabituelle jeudi, il était au contraire très perturbé vendredi dans la matinée, avec un cumul de bouchons exceptionnel de 347 km. Vers 18 heures, le site d’information routière Sytadin recensait quelque 580 km d’embouteillages, un chiffre bien au-delà des valeurs considérées comme « exceptionnelles » pour cette heure de pointe, soit 450 km.
Air France a annoncé l’annulation vendredi de 30 % de ses vols intérieurs et 10 % de ses moyen-courriers. EasyJet, Transavia et Ryanair ont laissé également des avions au sol. Les compagnies aériennes ont été priées de réduire de 20 % leur programme.
Taux de grévistes moindre dans l’enseignement
Au lendemain d’une mobilisation massive jeudi dans l’éducation (51,15 % de grévistes dans les écoles, 42,32 % dans les collèges et lycées), beaucoup d’enseignants sont retournés en salle de classe vendredi. Le taux de grévistes était de 4,55 % dans le primaire et de 5,42 % dans le secondaire (collèges et lycées), selon le ministère.
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU (première fédération de l’enseignement), a toutefois prévenu vendredi que ce n’était pas « un mouvement d’humeur de quelques jours ». « Nous sommes déterminés », a-t-elle assuré.
Au moins quatre raffineries étaient de nouveau bloquées vendredi, selon la CGT. Dans le secteur de l’énergie, les grèves reconduites vendredi ont surtout eu pour objectif de « préparer le temps fort de mardi », a indiqué Sébastien Menesplier, de la CGT-Energie.
Chez les policiers, deux syndicats, Alliance et l’UNSA-Police, ont appelé leurs troupes « à continuer le service minimum » et « à se tenir prêts à toutes autres actions » pour défendre leur régime spécifique de retraite.
Une nouvelle journée d’action prévue mardi 10 décembre
L’intersyndicale CGT, FO, Solidaires, FSU, ainsi que l’Union nationale lycéenne (UNL), le Mouvement national lycéen (MNL) et l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), ont appelé vendredi à une grève interprofessionnelle le mardi 10 décembre, avec une nouvelle intersyndicale le soir même pour « décider de la suite ».
La CFE-CGC, qui était représentée, n’a pas souhaité s’associer à cet appel. La centrale des cadres, qui avait rejoint le mouvement du 5 décembre en cours de route en appelant à manifester ce jour-là, attend désormais « la réponse du gouvernement » pour décider de la suite.
Par ailleurs, tous les partenaires sociaux seront reçus lundi par la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, a annoncé Mme Buzyn, assurant que la « colère des Français » avait été « entendue ».
Il s’agira de « tirer les conclusions » des rencontres avec les différents acteurs, a précisé dans la matinée M. Delevoye, avant de les remettre au premier ministre, qui dévoilera l’intégralité du projet du gouvernement mercredi à midi.
Le premier ministre ferme sur « la disparition des régimes spéciaux »
Le premier ministre, qui s’est exprimé vendredi après-midi, a répété sa volonté de supprimer les régimes spéciaux, tout en disant sa « disposition totale » à négocier pour élaborer des « transitions progressives ». Depuis le perron de Matignon, Edouard Philippe a déclaré :
« Je le dis tranquillement : la mise en place d’un système universel de retraite implique la disparition des régimes spéciaux. Je ne crois pas que les Français puissent durablement accepter des régimes qui conduisent aujourd’hui certains à partir, alors qu’ils font le même métier, avec un peu plus et plus tôt que d’autres. »
Mais sa « logique ne sera jamais celle de la confrontation », a ajouté le chef du gouvernement, en récusant toute « brutalité » dans la mise en place du futur système. Aux salariés de la SNCF et de la RATP, il a assuré qu’il ne serait « pas raisonnable, pas acceptable, pas juste » de changer les règles « en cours de partie » : « C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué, et je répète aujourd’hui, ma disposition totale pour faire en sorte que les transitions soient progressives », a-t-il souligné.
M. Philippe a également adressé un message aux enseignants, pour qui le système universel, « ce n’est pas la baisse des pensions des enseignants », selon lui : « Au contraire, c’est la revalorisation progressive de leur traitement de façon à ce que leur pension, leur pouvoir d’achat, au moment des retraites, ne baissent pas », a-t-il fait valoir, laissant entrevoir des compensations puisque « l’application absurde des nouvelles règles les pénaliserait ».
Le « système par points » au cœur des critiques
A l’origine de la colère : le « système universel » par points censé remplacer, à partir de 2025, les 42 régimes de retraites existants (général, des fonctionnaires, privés, spéciaux, autonomes, complémentaires). L’exécutif promet un dispositif « plus juste », quand les opposants redoutent une « précarisation » des retraités. Des sondages récents ont montré que le mouvement était majoritairement soutenu par les Français.
Seule la CFDT continue de soutenir l’idée d’un régime « universel ». Mais son secrétaire général, Laurent Berger, a regretté que « la logique qui prévaut », c’est « de se mettre (…) sur la figure avant de commencer à discuter ».
Le premier syndicat français pourrait cependant avoir été entendu sur un point dont il avait fait un casus belli : la mise en œuvre d’une mesure « paramétrique » (allongement de la durée de cotisation, mesure d’âge…) pour équilibrer les comptes avant le changement de système. L’une des grandes incertitudes concerne en effet la mise en place, à côté de la réforme structurelle, de mesures budgétaires destinées à résorber le déficit à venir du système, estimé à une dizaine de milliards d’euros en 2025.
Puisque l’exécutif ne veut ni augmenter les cotisations, ni baisser les pensions, ni relever l’âge légal de départ, il reste la possibilité d’allonger la durée de cotisation. « Il ne faut pas être bêtement budgétaire, pas tout de suite », a tempéré jeudi soir, sur France 2, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin. « Notre proposition, c’est pas de baisser les pensions, c’est pas d’augmenter les cotisations, mais c’est de travailler plus longtemps, puisqu’on vit plus longtemps », a confirmé M. Darmanin tout en s’interrogeant :
« Est-ce qu’on est pressé au point qu’il faut le faire (…) dès l’année prochaine ? Il ne faut pas casser la réforme sociale que nous voulons porter (…) en faisant effectivement une réforme budgétaire immédiatement. »
Jusqu’à maintenant, l’entourage du premier ministre a toutefois plutôt défendu la mise en place d’un volet budgétaire, estimant qu’il fallait s’attaquer au déficit en même temps qu’au système de retraites dans son ensemble. Un report à 2021 des mesures d’économies, notamment, « n’est pas arbitré » à ce stade, assurait-on jeudi soir autour de M. Philippe.
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