Sourire en coin, Nadja l’admet sans détour : « La découverte du porno audio a libéré mon rapport à l’autoérotisme. » Plongée dans « l’impasse relationnelle » au moment du confinement dû à la pandémie de Covid-19, en 2020, cette musicienne de 30 ans, alors frileuse à l’idée de s’adonner aux plaisirs solitaires, brave « le tabou qui pèse encore sur la masturbation féminine » en naviguant, pour la première fois, sur des « tubes » – une expression renvoyant aux plates-formes des géants du porno gratuit en ligne, tel YouPorn. Problème : de l’affichage « agressif » aux publicités « malaisantes », en passant par les vidéos « phallocentrées », tout lui fait l’effet d’un repoussoir. De sorte que, au terme de plusieurs tentatives « infructueuses », la Toulousaine se rend à l’évidence : « Quelque chose bloquait, comme si ces sites ne s’adressaient pas à moi. »
Dos au mur, notre mélomane espère dénicher un « plan B » du côté de la musique classique – pour un résultat « navrant » –, avant d’ouvrir les portes du porno audio. « Quelle claque ! Au lieu d’être captive d’images dégradantes, j’ai été embarquée vers des scénarios respectueux par un timbre de voix et un rythme crescendo. Avec, à la clé, un bouquet d’orgasmes garantis sans culpabilité ! », rejoue-t-elle d’un souffle, amusée. Tout en mettant le doigt sur l’ambition commune à toutes les plates-formes de porno audio, qui éclosent depuis quelques années : renouveler par le haut l’industrie du X, éclaboussée, en France, par des scandales ayant impliqué des piliers du milieu, comme la société de production Marc Dorcel ou le site Jacquie et Michel, en faisant de l’éthique leur cheval de bataille. Une « révolution », au regard de notre adepte. Même si l’intrication entre sollicitation auditive et stimulation sexuelle, elle, n’a rien d’inédit.
« Des dispositifs cinématographiques primitifs du XIXᵉ siècle au Minitel, chaque média est rapidement devenu la cible d’un investissement sexualisé, rappelle le sociologue Fred Pailler, ingénieur d’études à la Sorbonne. Rien d’étonnant à ce que l’explosion des podcasts ait donné naissance à une déclinaison porno. Mais n’oublions pas que l’audio avait déjà servi de support érotique. » D’abord dans les années 1930, durant lesquelles « la voix des standardistes était l’objet de fantasmes », puis dans le courant des années 1990, avec « une tarification des conversations à caractère sexuel ». Le « téléphone rose » a représenté un juteux négoce, alimenté par « des entrepreneurs qui employaient leurs “animatrices” pour faire payer à la minute des interlocuteurs en quête de rencontres ou d’échanges érotisés ».
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