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IOC

Le relais de la flamme olympique est-il une invention des nazis ?

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Publié le 05 mai 2024 à 05h00, modifié le 06 mai 2024 à 10h39

Temps de Lecture 6 min.

La flamme olympique arrive à Marseille mercredi 8 mai, après son allumage le 16 avril au sanctuaire d’Olympie, en Grèce, puis un voyage par mer entamé à Athènes le 27 avril. Un rituel qui semble indissociable de l’image des Jeux olympiques (JO). Pourtant, il n’existait pas en Grèce antique, pas plus que lors des premiers jeux modernes. « C’est une tradition qui a été inventée », écarte d’emblée l’historien Michaël Attali, qui vient de diriger l’ouvrage Une histoire globale des sports olympiques (éditions Atlande, 720 pages, 29 euros). L’idée d’un relais n’aurait à l’époque pas eu de sens, les épreuves se tenant toujours au même endroit, à Olympie.

Une cérémonie sans équivalent passé

Les concours olympiques – on ne parle pas à l’époque de jeux – se déroulaient à l’époque classique sur cinq jours, et s’ouvraient par le serment des athlètes et de leurs proches. Au troisième jour avaient lieu des sacrifices rituels. Mais aucune flamme n’était allumée, ni par des vierges, ni par des rayons du soleil, comme le prétend aujourd’hui le site officiel des JO.

« Il n’y avait pas même de flamme olympique, démystifie l’helléniste Jean-Manuel Roubineau, auteur de Le Sport. Récit des premiers temps (PUF, 179 pages, 12 euros). L’inspiration antique provient de la course aux flambeaux par équipes, en relais, discipline sportive en vigueur dans certaines cités, notamment à Athènes, mais pas à Olympie. Et, là où elle existe, la course aux flambeaux n’est pas une cérémonie, mais une compétition» Ce relais moderne, il a donc fallu l’inventer.

Les premiers Jeux olympiques modernes, en 1896 à Athènes, ne représentent ni anneaux olympiques, ni flamme, ni passage de relais.

Le Comité international olympique (CIO), créé par le Français Pierre de Coubertin en 1894 pour faire renaître les Jeux antiques en 1896, est peu influent. D’ailleurs, trois des cinq premières éditions (Paris 1900, Saint-Louis 1904 aux Etats-Unis, Londres 1908) sont organisées sous la tutelle et dans l’ombre d’expositions universelles, au grand dam du baron.

Ce n’est que dans les années 1920, après le traumatisme de la première guerre mondiale, que l’idéal patriotique, universaliste et pacifiste de Coubertin trouve enfin un écho. Désormais en situation de force, il introduit en 1920 et 1924 le drapeau aux cinq anneaux, le serment, le salut et la devise des Jeux. Quand il cède la tête du CIO, en 1925, la dynamique est enfin lancée, et le décorum olympique continue de s’enrichir.

De la flamme d’Amsterdam au relais de Berlin

Pour les jeux d’Amsterdam de 1928, le comité néerlandais fait construire l’Olympisch Stadion, et sa Marathontoren, une tour de 46 mètres surmontée d’un chaudron. Elle permet aux athlètes, logés dans les écoles de la ville, de repérer le lieu des épreuves par, « durant le jour, une colonne de fumée noire, et à la nuit tombée, une grande flamme », détaille le rapport officiel. Pour la première fois, une flamme olympique resplendit durant tout l’événement. Le concept du feu sacré olympique sera repris à Los Angeles en 1932, puis dans toutes les olympiades suivantes.

Le relais de la torche n’existe pas encore, mais son idée affleure. Coubertin proclamait déjà, à l’issue des jeux de 1912 de Stockholm : « Messieurs, voici qu’un grand peuple a, par notre entremise, reçu de vos mains le flambeau des Olympiades. » Le principe d’un tel relais apparaît d’ailleurs en image en 1928, sur la médaille commémorative des Jeux d’Amsterdam, illustrée d’une torche passant de main à main, mais la cérémonie ne naît qu’en 1936.

En 1928, la médaille commémorative des Jeux olympiques d’Amsterdam montre pour la première fois un passage de flambeau.

Les Jeux de Berlin de 1916 avaient été annulés à cause de la première guerre mondiale. Puis l’Allemagne a été exclue des deux éditions de 1920 et 1924. De retour aux jeux de 1928, elle a hérité en 1931 de l’organisation de la onzième Olympiade. Le secrétaire général du comité d’organisation allemand, Carl Diem, propose alors l’idée d’un parcours de la flamme. Ce théoricien du sport, proche des idéaux aristocratiques, patriotiques et pacifistes de Coubertin, avait déjà mis en place un relais à la torche lors des Deutsche Kampfspiele, alternatives germaniques aux JO, en 1922.

Pour les Jeux de Berlin, il s’inspire de la flamme sacrée transportée de Preslav à Sofia en 1929 pour le millième anniversaire du premier tsar de Bulgarie. Sur un modèle proche, Carl Diem propose un relais partant du site d’Olympe, en Grèce, alors géré par des archéologues allemands, qui rejoindrait Berlin après un périple de 3 075 kilomètres. « Tel le feu de l’esprit grec, toujours ravivé pour éclairer l’humanité, la flamme d’Olympie va enfin pouvoir continuer de brûler lors des Jeux olympiques des temps modernes », s’enthousiasme-t-il. Le concept séduit le CIO, qui donne son aval en mai 1934, flatté par cette filiation entre passé et présent.

Des liens ambigus avec le nazisme

Carl Diem n’est pas encarté au Parti national-socialiste, qui le considère au début comme indésirable en raison de ses fréquentations juives. Mais lorsque Adolf Hitler accède au pouvoir, en janvier 1933, la tenue des Jeux devient incertaine et, pour les sauver, Diem et ses collègues le convainquent de les utiliser comme vitrine internationale. Le principe d’un relais olympique est notamment adoubé par Joseph Goebbels, qui trouve l’idée « géniale », relate Sylvain Bouchet, auteur de La mise en scène est de Pierre de Coubertin (Jacob-Duvernet, 2013).

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Le flambeau olympique a en effet un caractère symbolique fort pour l’Allemagne. « Selon l’idéologie nazie, les Aryens ont une filiation directe avec les anciens Grecs. Le lien renforcé avec l’Antiquité, par le relais de la flamme, leur convenait très bien », observe l’historienne Daphné Bolz, autrice des Arènes totalitaires : Hitler, Mussolini et les jeux du stade (CNRS Editions, 2008). Le symbole permet même à la propagande du IIIe Reich de relier Hitler à Zeus.

La flamme olympique arrive au Lustgarten de Berlin, le 1ᵉʳ août 1936, sous l’œil des Jeunesses hitlériennes,  après s’être élancée pour la première fois d’Athènes, le 30 juillet 1936.

Par la suite, Carl Diem se rapprochera de l’idéologie belliqueuse du régime. En 1943, il se félicitera de Jeux « virils » et « guerriers », et jugera conforme à l’esprit des jeux antiques que les Allemands « défendent leurs droits vitaux les armes à la main ».

Des jeux nazis adoubés par Coubertin

Lorsque, à l’été 1936, la torche voyage pour la première fois jusqu’à Berlin, l’opinion internationale fait preuve d’une certaine naïveté. L’Eglise orthodoxe grecque, qui y voit un symbole païen, déplore certes une « cérémonie ridicule », et la presse de gauche française conteste un spectacle démesuré. Mais beaucoup sont bernés par le pseudo-pacifisme affiché par le régime nazi, tel le New York Times, qui applaudit une inauguration « notable, au-delà même des attentes », et se satisfait d’un « nouveau point de vue sur le IIIe Reich (…) depuis la colline olympique de la paix ».

Plusieurs responsables du CIO saluent un événement grandiose. Pierre de Coubertin lui-même y voit l’aboutissement de sa vision théâtrale des jeux. Comme il l’explique à L’Auto (ancêtre de L’Equipe), « pour mes jeux, je veux un long cri de passion quel qu’il soit. A Berlin, nous avons vibré pour une idée que nous n’avons pas à juger, mais qui fut l’excitant passionnel que je recherche constamment ».

Lire le portrait (2024) | Article réservé à nos abonnés Pierre de Coubertin, le perdant des Jeux olympiques

Le baron, vieillissant, isolé, rancunier et ruiné, fait alors l’objet de subsides financiers et de marques d’attention de la part d’Adolf Hitler. Deux mois avant sa mort, en 1937, il léguera ses archives à l’Allemagne, dans un fonds dirigé par Carl Diem.

Un héritage embarrassant pour le CIO

Après la seconde guerre mondiale, Carl Diem est pressenti pour rejoindre le Comité olympique, mais en pleine dénazification, les Etats-Unis s’y opposent. Pourtant, ce disciple de Coubertin n’est pas un paria pour autant. Le CIO le qualifie encore aujourd’hui pudiquement de « membre du comité d’organisation des Jeux de la XIe Olympiade », occultant ses liens avec le régime nazi.

Par ses liens avec Coubertin, il « a longtemps servi d’alibi au mouvement olympique international pour éviter l’accusation de continuer une “tradition” inventée par Goebbels », relève, dans un article de 2005, l’historien grec Anastassios Anastassiadis. Si le sociologue et philosophe Jean-Marie Brohm le qualifie d’« épigone nazi de Coubertin », son attachement à l’idéologie hitlérienne continue de faire débat.

Les VIIIᵉ Jeux olympiques, à Paris, du 4 mai au 27 juillet 1924, introduisent le salut olympique. Proche du salut nazi, il sera supprimé après-guerre.

Après-guerre, le CIO a abandonné certains symboles, comme le salut olympique, intronisé en 1924, et trop semblable au salut hitlérien. Mais le relais de la torche a survécu. « Il a été un symbole tellement fort, dans la magnification de l’héritage de l’Antiquité, que le CIO a préféré le conserver et passer à la trappe la propagande qui allait derrière », explique Sylvain Bouchet.

Il n’y a pas eu de Jeux en 1940 et 1944. Mais en 1948, les premiers Jeux de l’après-guerre ont été précédés du relais de la flamme, d’Olympie à Londres, sans que la question du legs de 1936 ne soit posée. « Assez bizarrement, on en parle très peu, comme s’ils n’avaient pas existé. On sent une volonté d’oublier un passé douloureux », traduit Michaël Attali. Il faudra attendre les Jeux de Munich, en 1972, pour que l’olympisme allemand commence un travail d’inventaire loin d’être terminé. Le relais de la flamme, lui, continue sa course.

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