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Comprendre les zones de flou autour du délit d’« apologie du terrorisme »

La présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, et la candidate aux élections européennes Rima Hassan sont entendues mardi 30 avril par la police judiciaire de Paris pour « apologie du terrorisme ».

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Publié le 30 avril 2024 à 13h07, modifié le 30 avril 2024 à 13h47 (republication de l’article du 25 avril 2024 à 18h12)

Temps de Lecture 5 min.

Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, au Palais-Bourbon, à Paris, le 4 juillet 2023.

La candidate de La France insoumise (LFI) aux élections européennes Rima Hassan et la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, sont entendues mardi 30 avril dans les locaux de la police judiciaire parisienne dans le cadre d’enquêtes pour « apologie du terrorisme » pour des propos en lien avec la guerre entre Israël et le Hamas.

Mme Hassan, militante franco-palestinienne, a été convoquée « afin d’être entendue librement sur des faits d’apologie publique d’un acte de terrorisme, commise au moyen d’un service de communication au public en ligne » entre le 5 novembre et le 1er décembre 2023. L’audition de Mme Panot est liée à une communication officielle du groupe LFI à l’Assemblée le 7 octobre 2023, jour de l’attaque du Hamas palestinien sur le sol d’Israël, dans lequel il était écrit que « l’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas [intervenait] dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne ».

Mardi matin, un rassemblement a été organisé par leur parti devant le siège de la police judiciaire de Paris. « Dans quelle démocratie les méthodes de l’antiterrorisme sont-elles utilisées contre des militants politiques, des militants associatifs ou des syndicalistes ? », s’est demandée Mme Panot, devant une centaine de partisans qui scandaient « résistance ».

Quelle est l’origine du délit d’« apologie du terrorisme » ?

Le délit d’apologie apparaît dans la loi sur la liberté de la presse. Ce texte punit de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende les auteurs d’apologie « des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage (…) ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi ». La version initiale, votée en 1881, punissait les personnes qui avaient « provoqué à commettre les crimes de meurtre, de pillage et d’incendie, ou l’un des crimes contre la sûreté de l’Etat ».

Quelques années plus tard, dans un contexte de multiplication des attentats politiques, sont adoptées des lois contre l’anarchisme, qualifiées de « lois scélérates », en 1893 et 1894. L’une d’entre elles dispose qu’un juge peut ordonner la saisie et l’arrestation préventive de personnes suspectées de délit d’apologie de crimes. « Ce sont les véritables premières applications de ce délit à des militants, explique Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-VIII et autrice de Punir les opposants (CNRS éditions, 2013). Le but était d’éradiquer les menées anarchistes et de réprimer tous les discours gênants et considérés comme en opposition avec le pouvoir. »

Cette infraction a conduit à des dizaines d’inculpations au cours du XXe siècle. Pendant la guerre d’Indochine (1946-1954), « des militants, souvent du Parti communiste, ont été poursuivis pour apologie des crimes de pillage, d’incendie et d’acte de désobéissance militaire », rappelle Vanessa Codaccioni. Dans les années 1970, les directeurs de publication du journal de la Gauche prolétarienne La Cause du peuple, Jean-Pierre Le Dantec et Michel Le Bris, ont été condamnés, respectivement à un an et huit mois de prison, pour « délit de provocation aux crimes contre la sûreté de l’Etat et apologie du meurtre, du vol, du pillage et de l’incendie ».

Que vise aujourd’hui l’« apologie du terrorisme » ?

En 2014, la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme transfère le délit d’apologie du terrorisme dans le code pénal. Selon l’article 421-2-5, la peine encourue, cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, est allongée à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si les faits sont commis via Internet. Le passage du domaine de la liberté de la presse à celui du droit commun facilite le placement en garde à vue ou les procédures de comparution immédiate.

Comme le définit le site du service public, l’apologie du terrorisme consiste « à présenter ou commenter favorablement soit les actes terroristes en général, soit des actes terroristes précis déjà commis » publiquement ou sur les réseaux sociaux. « C’est le fait de dire “bravo” ou “c’est bien fait” », résume Vanessa Codaccioni, qui déplore un dévoiement de l’interprétation de cette loi.

Les procureurs de la République, les associations ou les simples citoyens sont en mesure de signaler tous les comportements et contenus illicites en ligne sur la plate-forme gouvernementale Pharos depuis 2009 ou de porter plainte. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, plusieurs associations comme l’Organisation juive européenne (OJE) ou la Jeunesse française juive (JFJ) se félicitent d’avoir déposé des plaintes contre des dizaines de personnes, dont l’ancien candidat LFI à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon, la députée « insoumise » Danièle Obono et le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Philippe Poutou.

Comment ce délit a-t-il été utilisé depuis l’attaque du 7 octobre ?

Dès le 10 octobre 2023, le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a rappelé dans une circulaire que les « propos vantant les attaques, en les présentant comme une légitime résistance à Israël », tout comme la « diffusion publique de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique », pouvaient être constitutifs du délit d’apologie du terrorisme.

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Depuis, l’avocat Vincent Brengarth déplore « une augmentation des poursuites » pour cette infraction. Selon l’Agence France Presse (AFP), le parquet de Paris compte 386 saisines en lien avec le conflit entre Israël et le Hamas. Plusieurs personnalités ont été convoquées par la police, comme le syndicaliste de SUD Rail Anasse Kazib, l’ancienne basketteuse française Emilie Gomis et six étudiants de la section Solidaires étudiant·e·s de l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

La majorité des dossiers sont encore en cours d’instruction. Le secrétaire général de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut, a, lui, été condamné à un an de prison avec sursis le 18 avril. Après l’attaque du Hamas, l’union départementale avait publié un tract, retiré depuis, dans lequel était inscrit : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [le 7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. » Le responsable de la CGT a fait appel de cette condamnation.

Alice Dejean de la Bâtie, maîtresse de conférences en droit pénal à l’université de Tilburg, aux Pays-Bas, doute que les condamnations se multiplient, puisque « les juges devront établir un lien entre des propos sur la situation en Palestine et les attaques du Hamas. » « La Cour européenne des droits de l’homme [CEDH] pourrait intervenir sinon », poursuit la chercheuse. Cette juridiction européenne a déjà condamné la France en 2022 pour « lourdeur de la sanction pénale » à l’égard de Jean-Marc Rouillan, cofondateur du groupe d’extrême gauche armé Action directe, qui avait qualifié de « très courageux » les auteurs de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo en 2015. Malgré l’arrêt de la CEDH, la cour d’appel de Toulouse l’a une nouvelle fois condamné à de la prison ferme en 2023.

Pourquoi certains politiques, militants et juristes dénoncent-ils un dévoiement ?

Me Brengarth s’inquiète de l’évolution de l’interprétation du texte : « Normalement, ce délit doit viser les cas les plus graves, comme les encouragements à une action terroriste. Là, on est plutôt sur des propos critiques à l’égard de la position d’Israël, qui ne sont, en soi, pas constitutifs d’une apologie ou d’une légitimation des attaques du 7 octobre. » L’avocat représente Rima Hassan, candidate en septième position sur la liste LFI aux élections européenne.

Nombre de militants et de politiques, y compris d’autres partis, ont critiqué cette convocation d’une candidate à trois mois d’un scrutin. « Les différends politiques » ne doivent pas « se régler devant la justice », a déclaré à l’AFP Raphaël Glucksmann, tête de liste Parti socialiste-Place publique aux européennes. « On ne devrait pas convoquer les opposants politiques », déplore aussi le député du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy.

Alice Dejean de la Bâtie rappelle que « ce n’est pas la première fois que le droit pénal est utilisé pour discréditer des opposants ». « Mais il y a une tendance générale, dans de nombreux gouvernements européens, dont la France, de prétendre que des citoyens sortent du cadre de la liberté d’expression et entrent dans “l’apologie du terrorisme” quand ils s’expriment sur certains sujets », analyse-t-elle.

Dans son rapport annuel mondial, publié le 24 avril, l’organisation non gouvernementale Amnesty International a alerté sur les risques d’entrave à la liberté d’expression en France. « On demande depuis des années que ces délits d’apologie du terrorisme soient abrogés dans les lois, s’est alarmée Nathalie Godard, directrice de l’action à Amnesty International France. Il faut limiter la liberté d’expression sur les questions d’appel à la haine, mais l’apologie du terrorisme, c’est une infraction qui est définie de manière extrêmement vague et subjective, et qui donc représente en soi un risque d’atteinte à la liberté d’expression. »

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