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Envoi des migrants par le Royaume-Uni au Rwanda : neuf questions pour comprendre

Le Safety of Rwanda Bill adopté dans la nuit de lundi à mardi au Parlement britannique suscite de très vives critiques et de nombreux doutes, notamment quant à sa conformité avec le droit international.

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Publié le 24 avril 2024 à 12h48, modifié le 24 avril 2024 à 19h36

Temps de Lecture 5 min.

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Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, à son arrivée à la « briefing room » du 10 Downing Street pour la conférence de presse consacrée au projet de loi sur l’expulsion au Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni.

Au terme d’une intense bataille entre la Chambre des lords et celle des communes, le Parlement britannique a approuvé dans la nuit du lundi au mardi 23 avril le projet de loi Safety of Rwanda (« sûreté du Rwanda ») ouvrant la voie à l’expulsion vers ce pays d’Afrique de l’Est de demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni.

Adossé à un nouveau traité entre Londres et Kigali qui prévoit le versement de sommes substantielles au Rwanda en échange de l’accueil des demandeurs d’asile, le texte a pour objectif de répondre aux conclusions de la Cour suprême, qui avait jugé en novembre illégal le projet initial.

Ses nombreux détracteurs jugent le projet de loi contraire au droit international, impossible à mettre en œuvre, immoral, compliqué et dispendieux. Plusieurs recours ont été déposés en justice.

Quelles sont les dispositions du Safety of Rwanda Bill ?

Conclu en avril 2022, alors que l’ancien premier ministre conservateur Boris Johnson était aux affaires, le « partenariat » avec Kigali prévoit d’expulser vers le Rwanda les étrangers arrivés « illégalement ou par des moyens dangereux ou inutiles en provenance de pays sûrs » après le 1er janvier 2022, quelle que soit leur origine.

L’examen des demandes d’asile est confié à Kigali. En cas d’approbation, les demandeurs seront autorisés à rester au Rwanda. Dans le cas contraire, ils peuvent demander à s’y installer pour d’autres motifs, ou solliciter un autre « pays tiers sûr ». Quelle que soit l’issue de cet examen, les demandeurs n’ont aucune possibilité de revenir au Royaume-Uni. Il s’agit d’une délégation totale des responsabilités du Royaume-Uni en ce qui concerne l’examen des demandes.

Pourquoi a-t-il été introduit ?

Le gouvernement conservateur de Boris Johnson, à l’origine de l’initiative, jugeait nécessaire de trouver de nouveaux freins à la hausse des demandes d’asile et des arrivées clandestines. Le projet avait pour objectif de dissuader les étrangers de traverser la Manche au péril de leur vie pour demander l’asile au Royaume-Uni.

Plus de 45 000 personnes ont effectué la traversée en 2022, année sans précédent. Le chiffre est revenu à 30 000 en 2023, mais une nouvelle augmentation de 20 % a été enregistrée depuis le début de l’année 2024, avec plus de 6 200 arrivées, selon le décompte de l’Agence France-Presse. D’après un rapport parlementaire, plus de 67 000 demandes d’asile ont été déposées en 2023.

La lutte contre l’immigration clandestine a été au cœur du débat sur le Brexit, en 2016, et, comme ses prédécesseurs conservateurs, l’actuel premier ministre, Rishi Sunak, en a fait l’une de ses priorités lorsqu’il est arrivé à Downing Street, en octobre 2022. Les Tories comptent sur le texte pour inverser le rapport de force électoral avant les élections législatives qui pourraient avoir lieu à l’automne. Les travaillistes disposent à l’heure actuelle d’une avance de 20 points dans les intentions de vote.

Quand les expulsions vont-elles débuter ?

En vertu de l’accord conclu avec Kigali en avril 2022, un premier vol devait décoller pour le Rwanda en juin 2022, mais la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait ordonné son annulation à la toute dernière minute. Rishi Sunak a promis lundi de commencer à y envoyer des demandeurs d’asile d’ici dix à douze semaines, c’est-à-dire en juillet.

Combien de demandeurs d’asile peuvent être envoyés au Rwanda ?

Selon la BBC, 52 000 demandeurs d’asile pourraient être concernés. Le chef du gouvernement n’a pas avancé de chiffre, mais a promis qu’il y aurait « plusieurs vols par mois pendant l’été et par la suite ». Des avions ont d’ores et déjà été réservés et des vols, programmés, a-t-il ajouté. Cinq cents personnes seront chargées d’escorter les expulsés jusqu’aux avions.

Pourquoi l’adoption du texte a-t-elle pris autant de temps ?

A la mi-novembre 2023, la Cour suprême britannique a jugé le projet de loi illégal. La plus haute juridiction a estimé que les étrangers envoyés au Rwanda risquaient d’y être réexpulsés vers leur pays d’origine, où leur sécurité ne peut être garantie, ce qui contrevient à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la torture et les traitements inhumains, dont le Royaume-Uni est signataire.

Déterminé à faire aboutir le projet, le gouvernement a présenté une nouvelle mouture qui définit le Rwanda comme un « pays sûr » et, en vertu d’un nouveau traité bilatéral signé en décembre, empêche le renvoi des étrangers qui y sont expulsés vers leur pays d’origine. Le texte contraint en outre les instances judiciaires à ignorer certaines dispositions de la loi britannique relatives au respect des droits humains afin de limiter les recours, et affranchit le gouvernement des injonctions de la CEDH.

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L’aile droite du Parti conservateur souhaitait que le gouvernement se retire purement et simplement de plusieurs traités internationaux, dont la Convention européenne des droits de l’homme, pour empêcher les recours. La Chambre des lords, où les conservateurs n’ont pas la majorité, a retardé l’adoption définitive du texte en le renvoyant sans cesse à la Chambre des communes assorti d’amendements, lesquels étaient à leur tour systématiquement rejetés par les députés. Les Lords, qui ne sont pas élus, se sont finalement pliés à la volonté de la Chambre des communes désignée au suffrage universel, et ont décidé de ne plus amender le texte, ce qui a permis son adoption.

Des recours sont-ils envisageables ?

Avec la nouvelle mouture du texte, qui reconnaît le Rwanda comme un pays sûr en matière d’asile, le gouvernement compte limiter les recours en justice. Il s’attend néanmoins à de nombreuses contestations juridiques, qui pourraient notamment être jugées recevables pour des motifs personnels, tels que la santé ou les orientations sexuelles.

Rishi Sunak assure être prêt : selon lui, cent cinquante juges et vingt-cinq cours de justice ont été identifiés pour examiner ces appels en urgence.

Le Rwanda est-il vraiment un pays sûr ?

Dans sa décision de novembre 2023, la Cour suprême britannique exprime ses « profondes préoccupations » quant au respect des droits humains et au traitement des réfugiés de la part des autorités rwandaises. Les juges, qui se sont prononcés à l’unanimité contre le projet de loi, soulignent en outre que le gouvernement britannique a invité en 2021 Kigali à « mener des enquêtes transparentes, crédibles et indépendantes sur des allégations d’exécutions extrajudiciaires, de décès en détention, des disparitions forcées et de torture ». Ils rappellent par ailleurs qu’en 2018 la police rwandaise a ouvert le feu sur des réfugiés qui manifestaient, causant la mort de douze personnes.

« Etant donné que le Rwanda a ratifié de nombreuses conventions internationales relatives aux droits de l’homme, dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cela soulève de sérieuses questions quant au respect de ses obligations internationales », ajoutent-ils.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a également exprimé à de nombreuses reprises ses préoccupations au sujet du respect du droit d’asile au Rwanda.

Quels sont les termes financiers de l’accord entre Londres et Kigali ?

Bien qu’aucune expulsion n’ait encore eu lieu, le Royaume-Uni a déjà versé 220 millions de livres (256 millions d’euros) au Rwanda. Londres a en outre accepté de lui allouer 150 millions de livres supplémentaires au cours des trois prochaines années et 120 millions une fois que les trois cents premiers demandeurs d’asile y auront été envoyés, selon le National Audit Office. A ce total s’ajoutent 20 000 livres supplémentaires par personne expulsée et 150 874 livres pour les frais de traitement de chaque cas.

Quelles sont les réactions de la communauté internationale ?

Le texte britannique suscite de vives critiques, notamment aux Nations unies (ONU), dont le haut-commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, estime qu’il va « à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains ». Les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur le trafic d’êtres humains, les droits des migrants et la torture ont averti lundi les compagnies et autorités aériennes qui faciliteraient les vols concernés qu’elles « pourraient être complices d’une violation des droits humains garantis au niveau international ».

De son côté, le Conseil de l’Europe a prié Londres de reconsidérer son projet. « J’ai de sérieuses inquiétudes en matière de droits humains concernant le “Rwanda Bill” du Royaume-Uni. Son adoption par le Parlement britannique soulève des questions majeures concernant les droits des demandeurs d’asile et de l’Etat de droit », écrit Michael O’Flaherty, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans un communiqué.

De nombreux mouvements de défense des droits humains, tels qu’Amnesty Inyternational ou Human Rights Watch, s’en sont également indignés.

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