Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Imbroglio européen autour du sort des 107 migrants à bord de l’« Open-Arms »

Madrid se propose d’accueillir le navire humanitaire mais celui-ci, bloqué au large de Lampedusa, est trop loin de la côte espagnole. Paris s’est engagé à accueillir 40 migrants, s’ils parviennent à accoster.

Par  (Rome, correspondance)

Publié le 18 août 2019 à 17h10, modifié le 19 août 2019 à 15h57

Temps de Lecture 12 min.

Le navire « Open-Arms » au large de Lampedusa (Italie), le 17 août.

C’est une scène de désespoir qui a très vite circulé sur les réseaux sociaux. On y voit quatre hommes en gilet de sauvetage orange nager vers la côte de l’île italienne de Lampedusa, située à quelques centaines de mètres. Quelques minutes plus tôt, dans un geste désespéré, ils se sont jetés à l’eau depuis le pont de l’Open-Arms, le navire de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms qui les a sauvés d’un naufrage, dix-sept jours plus tôt.

Les migrants ont finalement été remontés à bord du navire par les sauveteurs. A leur retour, l’ONG a partagé sur Twitter l’angoisse de ces 107 passagers venus d’Afrique subsaharienne ou de Syrie. Des scènes de panique, des crises de larmes et des gestes de colère pour ces personnes à cran sur un bateau qui est devenu leur prison.

Malgré les demandes répétées encore dimanche 18 août par l’organisation humanitaire espagnole, Matteo Salvini a tenu bon : pas question d’envisager le débarquement des passagers. Le ministre de l’intérieur (Ligue, extrême droite) a promis qu’il ne céderait pas et poursuit sa politique de fermeté. Dimanche soir, il a demandé au Conseil d’Etat de se prononcer en urgence sur la décision du tribunal administratif du Latium qui avait autorisé jeudi le navire à pénétrer dans les eaux italiennes.

Volonté de durcir le bras de fer

Ces dernières heures, la situation de l’Open-Arms s’est progressivement transformée en un théâtre de l’absurde. Comble de l’humiliation, les passagers ont vu passer samedi soir sous leurs yeux une navette des gardes-côtes italiens avec à bord 56 autres migrants. Ceux-là ont pu débarquer sans difficulté sur le quai de Lampedusa. Car malgré le battage médiatique largement entretenu par le ministre de l’intérieur autour des ONG, les migrants continuent d’arriver régulièrement en Italie. Dans la nuit de dimanche à lundi, toujours à Lampedusa, seize migrants supplémentaires ont débarqué après avoir été pris en charge par les gardes-côtes.

Cette crise autour du navire espagnol prend une intensité nouvelle. Elle est la première du genre depuis le vote du deuxième décret sécurité de Matteo Salvini, adopté le 5 août. Elle se déroule aussi alors que l’Italie est en plein trouble politique et que la coalition au pouvoir s’est fracturée après la décision de Matteo Salvini, le 8 août, de faire tomber le gouvernement.

L’opinion publique est chauffée à blanc dans ce moment d’incertitude, et Matteo Salvini le sait parfaitement. Samedi, un procureur a mené une perquisition au siège des services des gardes-côtes dans le cadre d’une enquête contre X pour séquestration de personnes et abus de pouvoir sur la décision d’empêcher l’Open-Arms d’amarrer. « Une enquête pour séquestration a été lancée contre [Matteo Salvini], et il n’est pas certain que, cette fois-ci, on lui sauve la peau », rappelle Nello Scavo, journaliste au quotidien L’Avvenire, qui a effectué de nombreux reportages à bord des navires humanitaires. Selon lui, le ministre de l’intérieur durcit volontairement le bras de fer pour maintenir un rapport de force en sa faveur.

« Cynisme »

Cette obsession de Matteo Salvini à vouloir les entraver fait enrager les organisations humanitaires. « Le cas de l’Open-Arms est tout simplement inexplicable et n’est qu’un épisode de plus de la criminalisation des ONG à laquelle nous assistons depuis quatorze mois », s’inquiète Marco Bertotto, porte-parole de Médecins sans frontières (MSF) Italie. Ce dernier dénonce le « cynisme et la machine de propagande » de la part du ministre de l’intérieur.

Alors que le cas de l’Open-Arms n’était pas encore tranché dimanche soir, l’Ocean-Viking, navire opéré par MSF et SOS Méditerranée attend un port, entre Malte et l’Italie, avec à son bord 356 migrants. Le décret lui interdisant de pénétrer dans les eaux territoriales italiennes est toujours en vigueur et aucune solution n’a encore été trouvée.

Le Monde Application
La Matinale du Monde
Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer
Télécharger l’application

Marco Bertotto rappelle que l’Italie et Malte sont géographiquement les deux pays les plus proches des zones de naufrage et que, conformément au droit maritime international, c’est dans ces deux pays que les migrants doivent accoster. « La réponse doit être partagée par les pays européens », rappelle l’humanitaire. « Mais sur ce thème de l’immigration, chaque pays spécule avec des stratégies peu claires et peu courageuses », regrette-t-il.

Salvini critique la maire de Barcelone

La bataille autour de l’Open-Arms s’est étendue à l’Espagne durant le week-end. La maire de Barcelone, Ada Colau, qui avait proposé sa ville dès le 6 août comme port d’accueil, a affiché sa solidarité sur Twitter envers l’ONG de sauvetage, déplorant la « cruauté » de Matteo Salvini. Le chef de la Ligue l’a traitée en retour de « maire sentimentaliste ».

Dimanche à la mi-journée, le gouvernement espagnol a proposé d’accueillir les 107 migrants de l’Open-Arms dans le port d’Algésiras, non loin de Gibraltar, face à « l’inconcevable décision des autorités italiennes de fermer tous ses ports ». La main tendue a aussitôt été refusée par l’ONG, qui a rappelé que la situation « insoutenable à bord » ne permettait pas au navire d’effectuer les 950 milles nautiques le séparant de ce port. Un refus « incroyable et inacceptable » pour Matteo Salvini. « Ils organisent des croisières touristiques et décident où les débarquer ? L’Italie n’est pas le camp de réfugiés de l’Europe », a tonné le ministre de l’intérieur.

Le gouvernement espagnol a ensuite proposé lundi de faire débarquer le navire aux Baléares. Une nouvelle proposition là aussi refusée par Proactiva Open Arms, dans un communiqué.

« Après 18 jours d’impasse, l’Italie et l’Espagne semblent être parvenues à un accord en désignant Majorque (île des Baléares) comme un port de débarquement. Une décision qui nous paraît totalement incompréhensible. Alors que notre bateau est à 800 m des côtes de Lampedusa, les Etats européens demandent à une petite ONG comme la nôtre de faire face (…) à trois jours de navigation dans des conditions climatiques hostiles. »

La France s’engage à accueillir 40 personnes

L’imbroglio s’est également joué au niveau médical. Samedi, des médecins montés à bord pour des consultations avaient conclu que l’état physique des passagers ne nécessitait aucune urgence médicale. Francesco Cascio, ancien député Forza Italia (droite) et chef du centre médical de Lampedusa, a été accusé de rapports falsifiés, mais aussi de céder aux injonctions du chef de la Ligue. Beaucoup de ces migrants ont pourtant subi violences et tortures.

La France, de son côté, s’est engagée à accueillir 40 personnes, sous réserve qu’elles soient « en besoin de protection » et qu’elles remplissent donc les critères pour obtenir le statut de réfugié, a indiqué le ministère de l’intérieur. Une mission de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sera déployée dans les prochains jours en Espagne si le bateau accoste bien à Algésiras.

Pour éviter de tels épisodes de blocage, Proactiva Open Arms s’est associée en Italie avec l’ONG allemande Sea Watch et la Fondation des Eglises évangéliques pour développer les couloirs humanitaires européens. Leur projet est de faire venir en Europe 50 000 migrants par voie aérienne depuis la Libye. Des voyages sûrs afin d’éviter les noyades, mais aussi de tels psychodrames autour des navires.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.