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Attentat sanglant en Afghanistan en plein pourparlers entre Washington et les talibans

L’attaque, qui a fait samedi au moins 63 morts et 182 blessés dans un mariage de la communauté chiite, a été revendiquée par la branche afghane de l’organisation Etat islamique.

Par  (Kaboul - envoyée spéciale)

Publié le 18 août 2019 à 01h44, modifié le 19 août 2019 à 11h41

Temps de Lecture 6 min.

Aux funérailles d’une victime de l’attentat, à Kaboul, le 18 août.

Peu après l’appel à la prière du matin, sous la lumière argentée de la lune, les femmes et les hommes endeuillés arrivent dans le cimetière de Ghala Kadoro, dans le sud-ouest de Kaboul. Ce lundi 19 août, dix-huit nouvelles tombes abritent des victimes de l’attentat-suicide survenu deux jours plus tôt contre une fête de mariage dans la capitale afghane.

Il est 4 h 40 du matin à Kaboul. Les femmes se mettent en rang, tel un groupe de chœur dans une pièce de théâtre de la Grèce antique. Elles se lamentent et appellent à voix haute le nom de leur fille, de leur fils, de leur neveu ou de leur nièce assassinés. Les hommes, eux, pleurent en silence et tentent, tant bien que mal, de calmer les femmes. « J’ai perdu quatre membres de ma famille, deux neveux et deux cousins, explique Saffiullah Shehrzad, âgé de 33 ans, qui n’était pas allé au mariage afin de prendre soin de son père âgé. On connaissait le marié. Dans ce quartier, on est tous plus ou moins liés. »

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Le samedi 17 août, après dix jours d’accalmie dans la capitale afghane, un kamikaze s’est fait exploser dans la salle de mariage Shar Dubai, dans l’ouest de la capitale, faisant au moins 63 morts et 182 blessés. Cette attaque, la plus meurtrière depuis le début de l’année, a été perpétrée dans un quartier de la communauté chiite hazara. Cette minorité afghane, dont étaient issus les mariés, est la cible régulière des combattants sunnites de la branche afghane de l’organisation Etat islamique (EI), implantée dans le pays depuis 2015, et qui a revendiqué l’attentat.

« Abandonnée aux bouchers »

Dans le cimetière de Ghala Kadoro, Zarmina Soltani pleure sa fille Maryam, âgée de 9 ans, tuée dans la salle de mariage. « Maintenant, sans toi, qu’est-ce que je dois faire ? », chuchote-t-elle, caressant la terre de la tombe couverte par des fleurs rouges, blanches et jaunes. Son mari, Nouragha, se tient à l’écart et pleure en silence. « Ma fille s’habillait en garçon [phénomène commun en Afghanistan, où les filles portent des vêtements masculins pour pouvoir aider leur famille dans son quotidien, lorsque cette dernière n’a pas de garçon]. Elle était donc dans la partie réservée aux hommes où l’attentat a eu lieu. Elle est morte avant même d’arriver à la clinique. Ma femme et mes trois autres filles sont vivantes », explique l’homme, issu de la minorité hazara, comme tous les autres Afghans présents ce lundi dans le cimetière. Sa femme, elle, ne cesse de répéter : « Maryam ! Je t’ai abandonnée aux bouchers. »

Les talibans ont rapidement nié leur implication dans l’attentat. « Commettre de tels assassinats délibérés et brutaux et prendre pour cible des femmes et des enfants n’ont aucune justification », ont tweeté deux porte-parole des insurgés. Une déclaration rejetée par le président Ashraf Ghani qui, lors d’un discours, a soutenu que « les talibans ne peuvent s’exonérer de tout blâme car ils servent de plate-forme aux terroristes ».

Selon un communiqué de la branche afghane de l’EI, un kamikaze « pakistanais » aurait d’abord ciblé un grand rassemblement chiite à Kaboul, et une voiture piégée aurait ensuite explosé : « Le frère kamikaze Abou Assem Al-Pakistani (…) a réussi hier à atteindre un grand rassemblement (…) d’apostats » à Kaboul et a « fait détoner sa ceinture une fois au milieu de la foule (…). Après l’arrivée de membres de la sécurité, des moudjahidine ont fait exploser une voiture piégée », précise le communiqué publié sur Telegram.

Cette revendication a été mise en doute par une source de sécurité afghane jointe parLe Monde. Celle-ci affirme que la « deuxième explosion à la voiture piégée n’a pas eu lieu ». Elle se montre également prudente sur la responsabilité de l’EI dans cette attaque, évoquant la piste « du réseau Haqqani », une faction des talibans afghans proche d’Al-Qaida.

Les quartiers de l’ouest de Kaboul, jadis paisibles, sont devenus ces dernières années le théâtre de nombreux attentats contre les mosquées chiites et les centres d’éducation, la plupart du temps revendiqués par l’EI. Les mariages afghans, rassemblant plusieurs centaines d’invités, constituent une cible facile pour ce type d’attaques.

Légitimité fragilisée

Dans le cimetière de Ghala Kadoro, à Kaboul, le 18 août.

Le 12 juillet, au moins six personnes ont été tuées et quatorze blessées lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser lors d’une cérémonie dans la province de Nangarhar, dans l’est du pays. L’attaque a elle aussi été revendiquée par l’EI, dont la présence va croissante dans la région. Selon les Nations unies (ONU), la spirale de violence en Afghanistan a battu un record en juillet – le mois le plus meurtrier depuis mai 2017 –, avec plus de 1 500 civils tués ou blessés.

Mais l’attentat de samedi survient dans un climat particulier, alors que les Américains et les talibans sont en pleines négociations pour aboutir à un cessez-le-feu qui ouvrirait la voie à des négociations de paix entre le gouvernement afghan et le groupe insurgé. Le président américain, Donald Trump, et son envoyé spécial pour les pourparlers, Zalmay Khalilzad, se sont montrés jusqu’à présent très optimistes quant à un accord.

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Le gouvernement d’Ashraf Ghani reste pour le moment exclu de ces tractations, ce qui fragilise sa légitimité alors qu’il entend briguer un deuxième mandat lors de la prochaine élection présidentielle, prévue le 28 septembre, mais déjà repoussée à deux reprises.

Les funérailles de victimes de l’attentat ont été organisées dans la capitale tout au long de la journée de dimanche, alors que l’Afghanistan fêtait, lundi, le 100e anniversaire de l’indépendance vis-à-vis de l’influence britannique. Les blessés, eux, ont été répartis dans plusieurs hôpitaux de Kaboul.

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« Ça me brise le cœur »

Aux funérailles d’une victime de l’attaque suicide, à Kaboul, le 18 août.

Ce dimanche, à l’hôpital de Jamhuriyat, dans le centre de la capitale, comme après chaque attentat, le docteur Mohammad Ewaz a commencé sa journée de travail avec deux heures d’avance pour permettre à ses collègues, fatigués par une nuit passée à soigner les blessés, de partir plus tôt. Il soigne notamment deux jeunes Afghans blessés lors de l’attentat contre Shar Dubai alors qu’ils travaillaient en tant que serveurs dans la partie réservée aux hommes. « Les auteurs [de ces attaques] ne veulent pas de joie pour le peuple afghan, se désole ce médecin de 40 ans. La plupart du temps, les victimes ne sont même pas des soldats, mais des civils, parfois très pauvres. Regardez ces deux garçons qui travaillent pour aider leurs familles tout en faisant des études. Ça me brise le cœur. »

Allongé sur son lit, intubé, l’un d’eux, Abdullah Faramarz, raconte, d’une voix à peine audible : « J’étais en train de ranger la partie réservée aux hommes pour servir le dîner quand une explosion a retenti tout près de la scène. J’étais près de la porte d’entrée. Je suis tombé par terre. J’ai eu mal à l’épaule, comme si elle ne m’appartenait plus. Je n’ai pas tourné la tête pour voir l’état de la salle. J’ai juste marché vers la rue principale. Mes oreilles sonnaient. »

Malgré l’horreur qui se déroule depuis des années sous ses yeux, Mohammad Ewaz a espoir que les négociations avec les talibans mèneront à une paix durable dans le pays. « On aura peut-être un ou deux ans difficiles, mais après, ça ira mieux. Ce n’est pas possible de vivre sans espoir dans ce monde. »

Ce lundi, pourtant, dans le cimetière de Ghala Kodoro, difficile de garder un quelconque espoir en l’avenir. Ici, alors que le jour se lève, ce ne sont que cris de détresse et répétitions lancinantes des noms des bien-aimés partis à tout jamais.

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