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Au Tchad, la venue d’un influenceur russe le jour de l’élection alimente les spéculations

La présence de cet homme, sous sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne, confirme que le pays africain suscite un intérêt grandissant en Russie.

Par  ( N’Djamena, correspondance)

Publié le 08 mai 2024 à 18h04, modifié le 09 mai 2024 à 09h06

Temps de Lecture 4 min.

Lundi 6 mai, au moment où les Tchadiens étaient appelés aux urnes pour élire leur président, N’Djamena a reçu la visite d’un personnage sulfureux. Sous sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne, Maksim Shugaley est connu comme le directeur de la Fondation pour la protection des valeurs nationales, un groupe de réflexion russe autrefois lié au groupe Wagner et à son défunt chef, Evgueni Prigojine.

Malgré le décès de ce dernier en août 2023 et la reprise en main de ses activités par le Kremlin, les opérations d’influence russes continuent de tourner à plein régime sur le continent africain.

M. Shugaley est un spécialiste des campagnes d’influence politique en Afrique. En 2021, les résultats d’une de ses études étaient placardés en 4 x 3 dans les rues de Bangui, la capitale centrafricaine. On pouvait y lire que plus de 90 % des Centrafricains soutiendraient la présence russe dans leur pays ainsi que l’action du président Faustin Archange Touadéra. Quelques mois plus tard, il réapparaissait dans le plus grand stade de la ville pour faire la promotion du film Tourist, un long métrage à la gloire des paramilitaires russes, produit par une société liée à Wagner.

Aperçu par la suite au Mali, juste avant l’arrivée des paramilitaires russes, et au Soudan, revoici donc Maksim Shugaley au Tchad, pour la seconde fois, dit-il, casquette à l’effigie du président candidat Mahamat Idriss Déby vissée sur la tête et une chemise floquée des drapeaux russes et tchadiens entre les mains.

« J’ai conduit une étude de l’opinion publique »

M. Shugaley pose tout sourire pour la photo qu’il publiera quelques heures plus tard sur sa chaîne Telegram accompagné d’un message : « Le vote à l’élection présidentielle tchadienne est terminé. Le gagnant est évident. J’ai eu l’honneur d’observer les travaux de la direction de campagne de Mahamat Déby. »

La photo, repérée par le chercheur français spécialiste de la Russie Colin Gérard, a été prise dans les locaux du bureau de soutien Nouvelle génération, une organisation qui milite en faveur du candidat Mahamat Idriss Déby en mobilisant des centaines de partisans lors de ses meetings. Son président d’honneur n’a pas répondu aux multiples appels du Monde.

« Notre visite au Tchad a duré cinq jours, explique Maksim Shugaley au Monde. Les autorités du pays ont eu la gentillesse de me donner l’occasion de satisfaire mon intérêt scientifique. J’ai pu rencontrer les représentants du pouvoir et ceux de l’opposition, ainsi que les citoyens du pays. J’ai conduit une étude de l’opinion publique dont je présenterai les résultats un peu plus tard. » Le gouvernement n’a pas souhaité réagir ; le premier ministre et candidat Succès Masra, affirme quant à lui n’avoir jamais rencontré M. Shugaley.

Quelques jours plus tôt, sur une autre chaîne Telegram russe consacrée à l’Afrique, le blogueur Viktor Loukovenko, lui aussi lié aux organes d’influence de Wagner avait annoncé l’arrivée de politologues et sociologues russes au Tchad. Au même moment, la capitale tchadienne bruissait de rumeurs faisant état de l’arrivée de militaires russes, sans être confirmées jusqu’ici.

Maksim Shugaley s’en prend à l’Occident

Sur la photo tant commentée, apparaît un autre homme, identifié par Colin Gérard comme étant Samir Seïfan, lui aussi membre de la Fondation de protection des valeurs nationales, avec qui M. Chougalei a été emprisonné en Libye après avoir été accusé de tentative d’ingérence électorale en 2019, suite à une rencontre avec Saïf Al-Islam Kadhafi, l’un des fils de Mouammar Kadhafi. En Russie, deux longs-métrages ont été consacrés à cet épisode avant qu’Evgueni Prigojine lui-même n’intervienne pour leur libération.

Dans la suite de son message, M. Shugaley dénonce les puissances occidentales, sans apporter la preuve de ses accusations : « Les Etats-Unis ont tenté d’interférer dans l’élection [tchadienne], mais ils ont échoué. Selon certaines informations, les Etats-Unis envisagent d’œuvrer à la déstabilisation de la situation dans le pays après l’élection. Ils n’aiment pas les Français au Tchad. Ils estiment que les autorités françaises ont pillé le pays pendant de nombreuses années et l’ont empêché de se développer. Le Tchad a définitivement besoin de nouveaux partenaires internationaux. »

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Un appel à se rapprocher de la Russie, qui intervient déjà par l’entremise de ses paramilitaires dans quatre pays frontaliers du Tchad : la Centrafrique, la Libye, le Soudan et le Niger. De quoi donner des sueurs froides aux chancelleries occidentales dont N’Djamena est le dernier allié au Sahel.

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Les autorités tchadiennes savent tirer parti de cette position et n’hésitent pas à agiter le spectre de la Russie pour obtenir des concessions des Occidentaux, tout en diversifiant leurs partenariats sécuritaires (Emirats arabes unis, Turquie, Hongrie…).

Le Tchad est une source d’intérêt pour Moscou

Sur la visite de M. Shugaley, tout comme au sujet de la visite du président de la transition à Moscou en janvier, une source proche du gouvernement évoque sous couvert d’anonymat un « événement insignifiant. Pourquoi ne commente-t-on jamais l’arrivée d’un Turc ou d’un Chinois ?, feint-elle de s’interroger. Les Occidentaux sont obsédés par la Russie au point d’oublier que nous avons une armée assez puissante pour ne pas avoir de besoin de recourir à des paramilitaires ».

A N’Djamena, les résultats du premier tour de la présidentielle sont attendus dans un climat de suspicion mêlé de fébrilité. Les partisans de chaque camp revendiquent la victoire sur les réseaux sociaux et soupçonnent l’autre d’être soutenu par des puissances étrangères. Ce contexte pourrait-il être mis à profit par les opérateurs d’influence ?

De par sa position et sa relation ambiguë avec l’ancienne puissance coloniale, le Tchad est une source d’intérêt pour Moscou. « Le potentiel des relations entre la Russie et le Tchad est beaucoup plus élevé que le niveau auquel elles se trouvent aujourd’hui », répond sibyllin Maksim Shugaley interrogé sur l’avenir de cette coopération, avant d’ajouter qu’il envisage de « revenir au Tchad très bientôt pour l’investiture du nouveau président ».

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